Le bâtiment représente à lui seul 26% des émissions de CO² en France, dont environ 40% pour le secteur résidentiel. Depuis la directive européenne 2010/31/UE de 2010, la guerre aux bâtiments énergivores a été déclarée en France.
Malheureusement, cette guerre ressemble plus aujourd’hui à une guérilla : sous les pas des propriétaires s’étend un terrain miné dans toutes les directions. La mise en œuvre concrète des différentes obligations soulève d’ores et déjà des difficultés même pour les professionnels, et des questionnements auxquels il faudra répondre en cas de litiges. Les nombreuses procédures à venir pourraient bien donner des migraines aux magistrats, avocats et experts.
Quelles sont les obligations d’audit et de rénovation énergétique des habitations ?
Entre 2012 et 2021, les copropriétés de 50 lots et plus, construites avant 2001 et équipées d’un système de chauffage ou de refroidissement collectif devaient réaliser un audit énergétique (décret n°2012-111 du 27 janvier 2012, complété par l’arrêté du 28 février 2013 modifiant l’article R126-34 du CCH). Les audits éventuellement réalisés précédemment étaient à refaire. Il est à noter qu’aucune obligation de travaux ne complétait la réalisation de l’audit. Les autres copropriétés plus petites ou plus récentes, ainsi que les biens en monopropriété, restaient soumises à la simple obligation de DPE parties communes.
Entretemps, en 2015, la loi de transition énergétique (loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte) avait imposé une rénovation énergétique à tous les bâtiments privés résidentiels classés F ou G en DPE, soit ceux dont la consommation d’énergie primaire est supérieure à 330kWep/m²/an. Obligation à remplir avant 2025
En 2021, tout a changé.
Dans la caravane de la loi ELAN, le DPE a été refondu en juillet et novembre 2021, avec une uniformisation des méthodes bâtiments neufs et anciens, du format vente et location, et des variables d’utilisation du logement (les consommations réelles ne sont plus prises en compte, les usages moyens sont standardisés). Il est en outre opposable aux tiers. La première conséquence est que de nombreux biens classés moyennement sont soudainement étiquetés F ou G, et deviennent soumis à l’obligation de rénovation énergétique avant 2025. Les estimations varient fortement, mais il s’agirait de 5 à 10 millions de logements, à rénover avant 2025…
La loi Climat et Résilience (loi n° 2021-1114 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets) fait, elle, un virage à 180° sur le thème de l’obligation d’audit énergétique : elle disparait tout simplement pour les copropriétés, remplacée dans l’article R126-34 du CCH par le carnet d’entretien du bâtiment. Elle est en revanche reportée sur les logements en monopropriété, avec un calendrier progressif (1er avril 2023 classes F ou G, 1er janvier 2025 classe E, 1er janvier 2034 classe D).
Pour résumer, 5 millions de logements doivent être l’objet d’une rénovation énergétique en moins de 4 ans, avant 2025. Et déjà en 2022, 73 000 maisons individuelles (selon l’étude d’impact du Ministère de l’Ecologie) doivent faire l’objet d’un audit énergétique.
Ces refontes posent bien sûr, tout d’abord, le problème de la disponibilité des professionnels croulant déjà sous les demandes, et ensuite le coût de ces dispositifs malgré les nouvelles aides de l’état. Qui sera responsable si, faute de prestataire disponible, les calendriers ne sont pas respectés, malgré la bonne volonté des propriétaires ? Et si c’était la double peine, alors qu’ils doivent déjà supporter une partie du coût des mises en conformité ?
Les ventes :
Face à une rénovation thermique compliquée à engager, ou s’il n’a pas les moyens d’engager des travaux conséquents, le propriétaire peut envisager de vendre son bien, se résignant à une moins-value. Qu’à cela ne tienne, la loi Climat et Résilience lui impose également de produire un audit énergétique en complément du DPE. Il a, en revanche, un petit délai supplémentaire jusqu’au 31 mars 2023. Il devra faire vite, si le marché immobilier le permet… De fait, les ventes de passoires thermiques ont commencé depuis 2021, et les marchés immobiliers sont quelque peu malmenés.
Donc, le vendeur doit fournir un DPE et un audit énergétique. Le dossier se corse, car l’audit énergétique n’est pas nécessairement basé sur les données du DPE, et peut être réalisé selon 3 méthodes, possédant leur propres calculs de consommation d’énergie primaire, et pourtant toutes trois tout à fait réglementaires.
-La méthode 3CL est celle utilisée obligatoirement pour les DPE.
-La méthode TH-C-E ex est celle utilisée dans le cadre des règlementations thermiques
-La méthode MaPrimeRenov est celle déterminant l’éligibilité des travaux au dispositif
Les différences sont assez réduites, mais de fait, l’audit énergétique peut donner un résultat un peu différent, avant ou après travaux, du DPE. Dans un scénario catastrophe, un propriétaire pourrait engager les travaux de rénovation prescrits, et avoir ensuite un classement DPE toujours pénalisant. Quel document sera prioritaire ? Le DPE étant dorénavant opposable, quel recours pourraient avoir les propriétaires en cas de préjudice ?
Que dire du propriétaire-bailleur ?
Depuis le 1er août 2022, si son bien est classé F ou G au DPE, il lui est interdit d’augmenter le loyer (y compris en cas de renouvellement de bail) s’il n’a pas réalisé les travaux de rénovation énergétique prescrits en 2015. Au 1er janvier 2025, s’il n’a toujours pas réalisé ces travaux, son bien sera interdit à la location.
Mais… car il y a un « mais »…
… En 2021 est paru un décret modifiant le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent (n° 2021-19 du 11 janvier 2021 relatif au critère de performance énergétique dans la définition du logement décent en France métropolitaine).
Ce décret, décidément malmené, avait déjà fait l’objet d’un volet énergétique en 2017, décorrélé du DPE, abrogé avant même son application (voir article précédent).
Au 1er janvier 2023, le volet énergétique a fait son retour, cette-fois ci adossé au nouveau DPE. Adossé, mais avec un bémol : pour le logement décent, ce n’est pas le critère d’énergie primaire qui est pris en compte, mais celui d’énergie finale, qui doit être inférieur à 450kWef/m²/an.
Plus simplement, c’est l’énergie consommée par l’occupant qui est prise en compte, et non l’énergie totale utilisée transformation incluse. La conversion est faite par des ratios appliqués à chaque type d’énergie (électricité, bois, gaz), qui sont fixés dans le DPE, mais qui peuvent changer au gré des décrets. Le résultat obtenu dépendant des énergies utilisées, le logement tout électrique sera mécaniquement défavorisé, à classement DPE équivalent, car le ratio EP/EF est plus important pour cette énergie, mais son classement GES sera meilleur.
Concrètement, chaque bailleur doit, en plus de son classement DPE, fait un calcul à partir de la ligne écrite en petits caractères sous son étiquette de classement consommation d’énergie primaire, divisée par le nombre de mètres carrés habitables. C’est ce ratio qui détermine son obligation envers son locataire.
En cas d’incohérence entre les résultats, qui serait considéré comme sachant et responsable sur cette obligation assez technique ? Le bailleur ? L’administrateur de biens ? L’auditeur ?
La situation particulière en copropriété
Les copropriétés n’ont plus aucune obligation, mais le copropriétaire-bailleur, en a une nouvelle, au titre du logement décent.
Une partie des leviers énergétiques dans les logements collectifs sont communs, soumis au vote de l’assemblée des copropriétaires: isolation des façades, voire chauffage, et ventilation. Il peut arriver que les leviers privatifs soient insuffisants pour obtenir le résultat attendu. Dans certains cas, il a toujours la possibilité de faire poser une isolation intérieure, au prix de mètres carrés sacrifiés, mais il peut aussi arriver que les surfaces, déjà réduites, ne lui permettent pas cette solution.
Si la copropriété n’a pas encore réalisé ses travaux, ou si elle ne les vote pas, le bailleur se retrouve donc dans une situation bloquée qui engage sa responsabilité vis-à-vis de son locataire, et qui peut avoir des conséquences financières et juridiques importantes.
Quels recours a-t-il pour faire valoir son préjudice ou dégager sa responsabilité, sachant que la copropriété n’a aucune obligation formelle le concernant ? Dans la gestion de ces dossiers, comment seront déterminés le rôle et la responsabilité du syndic ?
On le voit, les litiges concernant la thermique de l’existant ont de beaux jours devant eux…
Sandra Esteves